La Cour de cassation a rendu, le 6 juin 2024, un arrêt important relatif à l’étendue de la garantie de l’assurance dommages ouvrage construction (Cass, 3e civ, 6 juin 2024, 23-11.336). Cette décision précise à nouveau la frontière entre malfaçons, désordres engageant la responsabilité décennale et simples défauts de conformité. Elle rappelle aussi les limites du recours exercé par le garant de livraison contre l’assureur dommages-ouvrage après indemnisation du maître de l’ouvrage.

Les faits : désordres, non-conformités et intervention du garant de livraison

Dans cette affaire, des maîtres de l’ouvrage avaient conclu un contrat de construction de maison individuelle. Ils avaient souscrit une assurance dommages ouvrage construction auprès d’Aviva (devenue Abeille IARD), tandis que la CGI Bâtiment garantissait la livraison.

Après l’apparition de deux désordres et d’une non-conformité, une expertise avait été diligentée. Le constructeur ayant été placé en liquidation judiciaire, une transaction fixait à 390 000 euros le coût de la démolition-reconstruction, montant versé par le garant de livraison. Subrogée dans les droits des maîtres d’ouvrage, la CGI Bâtiment a alors recherché la garantie de l’assureur dommages-ouvrage sur le fondement de l’article 1792 du code civil.

La question juridique : l’assureur dommages-ouvrage doit-il garantir la démolition-reconstruction imposée par des non-conformités ?

Le cœur du litige portait sur l’étendue de la garantie de l’assurance dommages ouvrage construction et, plus précisément, sur le point de savoir si la nécessité de démolition-reconstruction résultait :

  • soit de désordres de nature décennale,
  • soit de simples non-conformités contractuelles.

Le garant de livraison soutenait que la démolition de l’ouvrage, à elle seule, suffisait à caractériser un dommage décennal engageant l’assureur dommages-ouvrage. La Cour de cassation rejette nettement cette analyse.

La distinction essentielle entre désordres décennaux et défauts de conformité

La décision du 6 juin 2024 rappelle un principe constant : les défauts de conformité, en l’absence de désordre, ne relèvent pas du champ de l’article 1792 du code civil.

La Cour de cassation confirme que :

  • seuls les dommages compromettant la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination déclenchent la garantie obligatoire prévue à l’article L. 242-1 du code des assurances ;
  • les non-conformités aux stipulations contractuelles, si elles n’affectent pas la solidité ni la destination, n’entrent pas dans le champ de l’assurance dommages ouvrage construction ;
  • même si la démolition-reconstruction est nécessaire pour remédier à une non-conformité, cette solution technique ne transforme pas celle-ci en désordre décennal.

Ainsi, la nécessité pratique de reconstruire un ouvrage ne suffit jamais, en soi, à créer un dommage décennal si le problème initial ne compromet pas sa solidité ou sa destination.

Les conséquences pour l’assureur dommages-ouvrage : une garantie strictement limitée

La Cour approuve la cour d’appel qui avait considéré que les travaux de démolition-reconstruction ordonnés visent à mettre l’ouvrage en conformité, et non à traiter un désordre de nature décennale. Elle en déduit logiquement que l’assureur dommages-ouvrage n’a pas à prendre en charge ces travaux.

Cet arrêt renforce ainsi l’idée selon laquelle la garantie dommages-ouvrage demeure d’interprétation stricte. Elle ne couvre pas :

  • les malfaçons qui n’engendrent pas un désordre ;
  • les défauts d’exécution contractuelle ;
  • les écarts aux prescriptions du contrat de construction qui ne nuisent pas à la solidité ou à la destination de l’ouvrage.

La limite du recours du garant de livraison contre l’assureur dommages-ouvrage

Après avoir indemnisé les maîtres de l’ouvrage, le garant de livraison est subrogé dans leurs droits. Mais cette subrogation ne peut étendre la garantie de l’assureur dommages-ouvrage au-delà de ce que la loi prévoit.

L’arrêt précise que le garant de livraison ne peut agir contre l’assureur dommages-ouvrage que dans la limite des garanties légalement dues. Il ne peut pas obtenir le remboursement de sommes versées pour réparer :

  • des non-conformités contractuelles,
  • des malfaçons non décennales,
  • des travaux de remise en état imposés par le contrat de construction et non par un désordre.

La subrogation ne crée aucun droit supérieur à ceux du maître de l’ouvrage. Elle ne permet pas d’élargir artificiellement la responsabilité de l’assureur dommages-ouvrage.

Portée de l’arrêt : une clarification utile pour les acteurs de la construction

Cet arrêt du 6 juin 2024 s’inscrit dans une jurisprudence constante mais apporte une nuance importante : même si la démolition-reconstruction est la seule solution technique pour remédier à une non-conformité, cette circonstance ne suffit pas à déclencher la garantie dommages-ouvrage.

Il rappelle la nécessité, pour les praticiens, de distinguer clairement :

  • les désordres structuraux ou fonctionnels qui relèvent de la garantie décennale ;
  • les malfaçons qui n’entraînent pas de dommage ;
  • les défauts de conformité qui restent en dehors du champ de l’assurance dommages ouvrage construction.

Cette distinction reste déterminante pour les assureurs, les garants de livraison, les constructeurs et les maîtres de l’ouvrage, tant en matière de gestion de sinistres que de recours.

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