Le dossier médical : un outil fondamental au cœur de la relation de soins
Le dossier médical constitue bien plus qu’un simple recueil d’informations : il est l’outil central de la coordination, de la traçabilité et de la sécurisation de la prise en charge du patient. Chaque élément inscrit, du compte-rendu opératoire à la feuille de surveillance, participe à une vision claire et complète du parcours de soins.
Institué par l’article L.1111-7 du Code de la santé publique, ce droit d’accès du patient à son dossier est le corollaire de l’obligation du professionnel de constituer, mettre à jour et conserver les éléments relatifs à la santé de son patient. La défaillance dans la tenue ou la perte de ce dossier peut engager gravement la responsabilité du professionnel ou de l’établissement de santé concerné.
La perte du dossier médical : une faute organisationnelle engageant la responsabilité de l’établissement
Lorsqu’un établissement de santé ne parvient pas à remettre à un patient l’intégralité de son dossier médical, la responsabilité de cet établissement peut être engagée, même en l’absence de preuve directe d’une faute médicale. Cette position est désormais bien ancrée en jurisprudence.
Dans un arrêt du 26 septembre 2018 (Cass. 1re civ., n° 17-20.143), la Cour de cassation a jugé que la perte du dossier médical constitue un défaut d’organisation et de fonctionnement, justifiant une présomption de faute à l’encontre de l’établissement. Le patient n’a donc plus à prouver l’existence d’une faute dans les soins ; c’est à l’établissement de démontrer que la prise en charge a été conforme aux règles de l’art.
Autrement dit, l’impossibilité d’accéder aux documents médicaux prive le patient de son droit à la preuve et renverse la charge de la démonstration. Ce renversement constitue une avancée majeure dans la protection du droit des victimes d’accidents médicaux.
Le préjudice indemnisable : une perte de chance et non une réparation intégrale
Même en cas de perte du dossier médical, la réparation accordée au patient ne vise pas l’intégralité de son préjudice corporel. En effet, l’établissement fautif n’est pas tenu d’indemniser le dommage dans son ensemble, mais uniquement la perte de chance d’obtenir réparation. Cela signifie que le juge doit apprécier dans quelle mesure l’absence de documents médicaux a privé le patient de prouver l’existence d’une faute.
Cette évaluation probabiliste, bien que difficile, repose sur les éléments résiduels du dossier, les témoignages ou les indices périphériques. Dans l’affaire précitée, les juges du fond avaient estimé à 75 % cette perte de chance pour une patiente souffrant de séquelles graves à la suite d’un accouchement.
Cette approche demeure néanmoins critiquable : elle conduit à fragmenter l’indemnisation alors même que le manquement de l’établissement a rendu toute démonstration technique impossible. Le patient, déjà victime d’un dommage corporel, est en outre sanctionné pour l’absence de preuve… dont il ne peut être tenu responsable.
L’obligation légale et déontologique du professionnel de santé
Au-delà des établissements hospitaliers, les médecins libéraux sont eux aussi tenus à une obligation rigoureuse en matière de tenue du dossier médical. Même si aucune disposition légale explicite ne les oblige à établir un dossier médical, le Code de déontologie médicale impose la tenue d’une fiche d’observation pour chaque patient (article R.4127-45 du Code de la santé publique).
Ce document, confidentiel et actualisé, contient les éléments nécessaires aux décisions diagnostiques et thérapeutiques. Il devient dès lors un outil incontournable de preuve pour le praticien lui-même, qui pourrait voir sa responsabilité engagée en cas de manquement.
Concernant la conservation, les professionnels libéraux doivent veiller à garantir la confidentialité, la pérennité et l’accessibilité sécurisée des données. En cas de numérisation, le recours à des hébergeurs agréés est obligatoire (article L.1111-8 CSP). La perte, même accidentelle, des fichiers médicaux numériques peut entraîner les mêmes conséquences juridiques que pour un dossier papier.
En cas de cessation d’activité : que deviennent les dossiers ?
Le Conseil national de l’Ordre des médecins encadre strictement les modalités de conservation en cas de départ en retraite, de cessation brutale d’activité ou de décès du praticien. Le médecin doit organiser la transmission des dossiers à un successeur ou à un confrère désigné par le patient. En l’absence de solution, les dossiers doivent être archivés de manière sécurisée, et l’Ordre informé de leur lieu de conservation.
Tout manquement à ces obligations peut engager la responsabilité civile et disciplinaire du professionnel. En pratique, de nombreux litiges trouvent leur origine dans l’impossibilité, pour les patients, d’accéder aux documents médicaux nécessaires pour faire valoir leurs droits.
Conclusion : la rigueur documentaire, un devoir au service du droit des patients
La tenue rigoureuse du dossier médical n’est pas une simple formalité administrative : c’est une exigence juridique et éthique qui conditionne l’effectivité du droit à la preuve pour les patients et la sécurité juridique du professionnel de santé. Une documentation complète, organisée et pérenne est l’un des remparts les plus efficaces contre le contentieux en matière de responsabilité médicale.
En cas de perte de votre dossier médical, ou si un établissement de santé refuse de vous le communiquer, vous êtes en droit de faire valoir vos droits et d’engager, si nécessaire, une procédure d’indemnisation.
Vous êtes confronté à un litige lié à l’accès ou à la perte de votre dossier médical ?
Le cabinet Carlini & Associés, expert en droit de la santé, vous accompagne dans toutes vos démarches, qu’il s’agisse de solliciter une indemnisation, de faire valoir votre droit à la preuve ou de contester une faute médicale.
Contactez-nous dès aujourd’hui pour bénéficier d’un accompagnement sur-mesure, confidentiel et efficace.
LES AUTRES ARTICLES
L’obligation d’information du professionnel de santé
L’information du patient sur son état de santé n’est pas une simple formalité. Elle constitue aujourd’hui une obligation légale, déontologique et jurisprudentielle qui s’impose à tout professionnel de santé. Cette exigence résulte d’une évolution notable du rapport...