La notion d’« incapacités altération facultés mentales » dans le droit civil

Le droit des incapacités repose sur un principe simple. Une mesure de protection ne peut être prononcée que si la personne présente une altération de ses facultés mentales ou, plus rarement, une altération de ses facultés corporelles empêchant l’expression de sa volonté. Ce cadre juridique, fixé par les articles 425 et 440 du Code civil, encadre l’ouverture, le maintien et la mainlevée des mesures de tutelle, curatelle simple ou renforcée.

L’altération des facultés mentales doit être médicalement constatée. Elle doit être suffisamment grave pour justifier l’intervention d’un tiers dans les actes importants de la vie civile. Le juge des tutelles ne peut pas fonder sa décision sur la seule vulnérabilité sociale, matérielle ou physique de la personne.

La jurisprudence récente rappelle avec force cette exigence.

Une décision importante : Cour de cassation, Chambre civile 1, 27 mars 2024, 22-13.325

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a cassé une décision de la cour d’appel de Douai qui avait maintenu une curatelle renforcée sans que soit caractérisée une réelle altération des facultés mentales du majeur protégé (Cass, 1e civ, 27 mars 2024, 22-13.325).

L’intéressé souffrait d’une cécité totale depuis plusieurs années. La cour d’appel estimait que cette incapacité physique le rendait dépendant pour la gestion de ses ressources et pour la réalisation des actes patrimoniaux importants. Elle avait donc décidé de maintenir la mesure de protection.

La Cour de cassation adopte une position nette. Elle relève que l’intéressé disposait de capacités intellectuelles pleines et entières. Il exprimait son opinion clairement. Il connaissait sa situation financière. Aucun élément médical ne démontrait une altération des facultés mentales ou une incapacité physique empêchant l’expression de la volonté.

En conséquence, la Cour considère que : la seule altération physique, si elle n’empêche pas la formulation de la volonté, ne peut justifier une mesure de curatelle.

Cet arrêt réaffirme la frontière essentielle entre handicap physique et incapacité juridique.

À partir de quand une personne « n’a plus sa tête » au sens du droit des incapacités ?

La question se pose souvent en pratique. Le droit ne parle jamais de perte de la « tête ». Il exige une évaluation médicale précise et détaillée de l’altération des facultés mentales.

Plusieurs critères se dégagent :

  • incapacité à comprendre le sens ou la portée des actes de la vie civile ;
  • désorganisation du jugement ou du comportement ;
  • impossibilité d’exprimer une volonté libre et éclairée ;
  • déficience cognitive avérée, liée notamment à une maladie neurodégénérative, un traumatisme, un trouble psychiatrique ou un état de désorientation.

Tant que la personne peut exprimer une volonté cohérente, la mesure de protection n’est pas justifiée. Le juge doit apprécier la situation de manière individualisée, à partir d’un certificat médical circonstancié.

Le critère déterminant reste le discernement.

Quand peut-on mettre fin à une mesure de curatelle ou de tutelle ?

La mainlevée doit être prononcée dès que l’état psychologique de la personne s’est amélioré. Le droit des incapacités n’a pas vocation à immobiliser durablement un individu dans un statut de dépendance juridique.

La personne protégée peut saisir le juge des tutelles à tout moment pour solliciter :

  • la mainlevée totale ;
  • un allègement vers une mesure moins contraignante ;
  • une révision de la mesure initiale.

Le juge examine alors :

  • l’évolution médicale des facultés mentales ;
  • la capacité actuelle à gérer les actes importants de la vie civile ;
  • l’environnement familial ou social de soutien.

Si l’altération des facultés mentales n’est plus caractérisée, le juge doit mettre fin à la protection. L’arrêt du 27 mars 2024 rappelle que la mesure ne peut jamais reposer sur une simple difficulté matérielle ou sur un handicap physique.

Une clarification bienvenue pour la pratique du droit des incapacités

Cet arrêt renforce la sécurité juridique en recentrant les mesures de protection autour de leur finalité première : protéger la volonté, et non suppléer les limites physiques ou les difficultés quotidiennes.

Il confirme trois principes majeurs :

  1. seule une altération médicalement constatée des facultés mentales peut justifier une curatelle ou une tutelle ;
  2. l’incapacité physique n’ouvre une mesure que si elle empêche l’expression de la volonté ;
  3. la mesure doit cesser dès que la personne retrouve des capacités suffisantes pour agir seule.

Cette lecture stricte protège la liberté civile et garantit le respect de la dignité de la personne.

Incapacités et altération des facultés mentales : ce qu’il faut retenir

L’arrêt du 27 mars 2024 constitue un rappel clair des conditions d’ouverture et de maintien d’une mesure de protection fondée sur les incapacités et l’altération des facultés mentales. Le juge doit s’en tenir aux textes et aux constatations médicales. La mesure de protection ne peut jamais se substituer à l’accompagnement social ou matériel.

La distinction entre vulnérabilité et incapacité doit rester au cœur de la pratique du droit des majeurs protégés. Elle permet de préserver la liberté individuelle tout en garantissant un cadre juridique protecteur lorsque la volonté ne peut plus s’exprimer pleinement.

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